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Il ne fait aucun doute que le dollar domine le monde en tant que monnaie de réserve par excellence. Les banques centrales l’accumulent, les entreprises l’utilisent pour le commerce international, et il constitue la référence pour le pétrole et les matières premières. Mais est-ce vraiment toute l’histoire ? Pas tout à fait.
LE DOLLAR EST LE ROI DES MONNAIES, MAIS PAS POUR LES RAISONS QUE L’ON CROIT.
La force actuelle du dollar repose davantage sur l’appétit des investisseurs privés pour les revenus élevés que sur son statut de monnaie de réserve. Imaginez un gestionnaire de fonds à Taïwan travaillant pour une grande compagnie d’assurance-vie. Son objectif est de placer des milliards de dollars pour garantir une retraite confortable à ses clients. Où investir
Les données montrent que plus de 80 % des portefeuilles de l’industrie d’assurance taïwanaise sont constitués d’actifs libellés en dollars : obligations du Trésor américain, actions de géants technologiques comme Apple ou Microsoft. Pourquoi ? Parce que les États-Unis offrent des actifs plus attractifs que la plupart des autres marchés. Par exemple, un bon du Trésor américain à 10 ans rapporte environ 4,3 %, contre 2,6 % pour un bon allemand, 1,5 % pour un bon japonais et même 0,4 % pour un bon suisse.
Pour un investisseur, le calcul est simple : le dollar est plus rentable. Mais pour comprendre cette dynamique, il faut revenir en arrière.
Jusqu’à la fin des années 2000, les banques centrales, notamment en Asie, accumulaient massivement des dollars pour stabiliser leurs monnaies. La Chine, par exemple, achetait d’importantes quantités de bons du Trésor pour maintenir le yuan à un niveau compétitif. En 2018, les réserves en dollars représentaient environ 55 % des réserves mondiales.
Mais depuis 2014, cette tendance s’est infléchie. Les réserves n’augmentent plus au même rythme. En Chine, en Corée ou à Taïwan, les flux officiels vers le dollar ont stagné. Si les banques centrales ne financent plus le déficit commercial américain (les États-Unis importent bien plus qu’ils n’exportent), qui le fait ? Ce sont les investisseurs privés, attirés par les rendements élevés.

Prenons l’exemple d’un fonds de pension japonais qui gère les économies de millions de retraités : il cherche des placements sùrs mais rentables. Au Japon, les obligations à 10 ans rapportent à peine 1,5 %. À l’inverse, les obligations américaines apparaissent comme une opportunité. Résultat : les investissements se déversent massivement sur les bons du Trésor américains.
Ce n’est ni une obligation légale ni une question de statut de réserve. C’est une décision rationnelle basée sur le rendement. Cela soulève une question cruciale : si la force du dollar dépend des investisseurs privés, que se passe-t-il si ces rendements deviennent moins attractifs ? Et pourquoi les États-Unis ont-ils besoin d’autant de capitaux étrangers ? Cela nous amène au deuxième point : le déficit commercial américain qui ne cesse de croître.
LE DÉFICIT COMMERCIAL AMÉRICAIN, UN GOUFFRE ALIMENTÉ PAR UN DOLLAR FORT
Le déficit commercial américain, c’est-à-dire la différence entre les importations et les exportations du pays, ne cesse de se creuser depuis les années 1980. Ce phénomène est en grande partie lié à la puissance du dollar, elle-même résultant de politiques économiques qui attirent les capitaux étrangers et rendent les exportations américaines moins compétitives.
Pour illustrer cela, revenons aux années 1980. Le président Ronald Reagan a mis en place une politique fiscale ambitieuse, avec de fortes baisses d’impôts pour les entreprises et les particuliers, combinées à une hausse des dépenses militaires. Cela a entraîné des déficits budgétaires records depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour contrer l’inflation, la Réserve fédérale a maintenu des taux d’intérêt supérieurs à 10 %.
Ces taux ont attiré des investisseurs du monde entier, faisant grimper le dollar à des sommets. En 1985, le dollar était si fort que des magasins britanniques faisaient de la publicité aux États-Unis pour inciter les Américains à venir faire du shopping à Londres. Le “shopping transatlantique” est né : les Américains voyageaient à Londres pour acheter moins cher qu’à New York.
Mais ce dollar fort a eu pour effet de rendreles produits américains trop chers à l’international. Les voitures fabriquées à Detroit devenaient plus coûteuses que leurs concurrentes japonaises ou allemandes. Les exportations ont chuté, les importations ont augmenté, et le déficit commercial a explosé.
Aujourd’hui, les États-Unis enregistrent un déficit budgétaire structurel d’environ 6 à 7 % de leur PIB, nourri par des baisses d’impôts depuis 2017 et des dépenses publiques élevées. Ce n’est pas une critique des baisses d’impôts, mais sans réduction des dépenses publiques, le déficit s’aggrave. Pour le financer, le gouvernement émet massivement des dettes publiques.
Les bons du Trésor américains offrent des taux d’intérêt élevés (4,5 %) contre 2,5 % en Allemagne ou 1,5 % au Japon. Cela attire les capitaux étrangers, renforce le dollar, et aggrave le déficit commercial. Imaginez une usine américaine de tracteurs : avec un dollar fort, ses produits sont plus chers que ceux fabriqués en Corée du Sud. Par conséquent, les Américains importent davantage.
Les dépenses de grandes économies asiatiques comme la Chine ou la Corée sont de plus en plus orientées vers l’investissement privé dans les titres américains plutôt que par l’intermédiaire des banques centrales.
Ces flux financent le déficit, mais cette dépendance aux capitaux étrangers est un choix politique risqué. Au lieu de réduire les dépenses pour équilibrer le budget, les gouvernements ont choisi d’emprunter sans limite, ce qui maintient artificiellement le dollar à un niveau élevé. Ce n’est pas une dynamique naturelle du marché, mais une distorsion créée par des politiques fiscales potentiellement fragilisantes à long terme […]
Par César S







































































