La prise en charge des personnes souffrant de maladies chroniques pose d’énormes problèmes, et pour cause le manque de médecins spécialisés. Cette insuffisance de spécialistes expose souvent les malades à l’aggravation de leur état de santé du fait qu’ils se font consulter par des agents de santé qui ne sont pas formés dans le traitement de ces maladies. Ces affections de longue durée représentent le plus fort taux de mortalité dans le monde, en Afrique et au Togo, selon des spécialistes.
L’insuffisance de spécialistes se fait sentir dans la prise en charge de patients souffrant de toutes les maladies chroniques dont le diabète qui nous intéresse dans ce dossier. Pour une population estimée à 8 millions d’habitants, le Togo ne compte qu’environ 10 diabétologues. Pour réduire le risque, il est nécessaire de former les médecins généralistes et les infirmiers qui sont souvent les premiers à recevoir ces patients afin de les outiller pour donner aux malades les premiers soins adéquats et si possible les référer aux spécialistes. C’est dans ce contexte que le centre d’éducation thérapeutique, « DIABEOBE » a démarré, les 28 et 29 avril 2022 à Lomé, un projet de formation des infirmiers diplômés d’Etat sur le WHOPEN et l’éducation thérapeutique du patient diabétique.
QU’EST-CE QU’UNE MALADIE CHRONIQUE ?
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit les maladies chroniques comme des affections de longue durée qui, en règle générale, évoluent lentement. Responsables de 63 % des décès, les maladies chroniques (cardiopathies, accidents vasculaires cérébraux, cancer, affections respiratoires chroniques, diabète, etc.) sont la toute première cause de mortalité dans le monde.
Les maladies chroniques surviennent lorsque le fonctionnement de certains organes vitaux est défaillant. C’est le cas du pancréas qui donne le diabète, du cœur (l’hypertension, les maladies du cœur, l’Accident vasculaire cérébral (AVC), les maladies artérielles périphériques et le cholestérol), les poumons (les Maladies pulmonaires obstructives chroniques (MPOC), la fibrose pulmonaire, l’asthme), les os, les muscles et les articulations (Arthrite, Ostéoporose, Fibromyalgie), les reins (insuffisance rénale) et le poids (MPOC, la fibrose pulmonaire et l’asthme).
Pour le Dr Kodjo Kossi Serge, endocrinologue, diabétologue et nutritionniste au CHU Sylvanus Olympio, fondateur du centre DIABEOBE, il est important de former les médecins généralistes et les infirmiers pour la prise en charge des maladies chroniques en particulier le diabète et les maladies cardiovasculaires. « C’est dans cette optique que des étudiants en fin de formation (3e année) pour l’obtention du diplôme d’infirmier d’Etat ont été formés en collaboration avec le Programme National de lutte contre les maladies non transmissibles (PNLMNT) sur le WHOPEN (traitement médicamenteux de l’HTA et le diabète), un package d’un ensemble de pratiques adaptées aux structures périphériques de santé mis en place par l’OMS qui permet à l’infirmier de prendre de bonnes décisions devant un patient souffrant de maladies chroniques essentiellement le diabète, l’hypertension artérielle et tout ce qui est maladie cardiovasculaire. A travers cette formation, l’infirmier est outillé pour donner les premiers soins par rapport à ces différentes maladies », a dit le diabétologue.
Le WHOPEN met essentiellement l’accent sur la prévention des maladies cardiovasculaires, du diabète et des autres maladies chroniques. Ce programme prend en compte aussi l’asthme et la dépression.
EDUCATION THERAPEUTIQUE ET PRISE EN CHARGE DU PATIENT
Mme Patricia Cohen, Infirmière diplômé d’Etat (IDE) et diététicienne à Nice (France) a expliqué, par visioconférence lors de l’atelier des infirmiers des 28 et 29 avril, que l’éducation thérapeutique du patient est indispensable pour les généralistes et infirmiers appelés à prendre en charge les patients souffrant de maladies chroniques. Elle a relevé que l’éducation thérapeutique s’inscrit dans le parcours de soins du patient. Celle-ci, selon l’infirmière, a pour objectif de rendre le patient plus autonome en facilitant son adhésion aux traitements prescrits et en améliorant sa qualité de vie. Mme Cohen a précisé que l’éducation thérapeutique n’induit pas le déplacement de la responsabilité de l’échec thérapeutique du soignant vers le patient, au risque de culpabiliser ce dernier de l’information, car informer ne suffit pas à rendre « un patient compétent » de qui est de l’apanage des médecins et des infirmières, mais plutôt le fait d’une équipe pluridisciplinaire.
« L’éducation thérapeutique c’est un outil incontournable de la prise en charge des maladies chroniques, nécessaire à la motivation et à l’acquisition de connaissances, de compétences et d’attitudes appropriées par le patient. Elle reste un outil efficace comparé aux autres types d’interventions, et une validation de concepts peu développés dans notre culture et organisation sociale et de soins. Entant que priorité de soins déclinée par l’OMS, c’est le moyen de considérer le patient comme un sujet et non plus comme un individu. Le moyen d’amener le patient à l’apprentissage au corps, à son propre corps ou au corps des autres », a précisé Mme Cohen.
POUR UN ROLE PLUS ACCRU DE GENERALISTES ET INFIRMIERS
Pour Dr. Kodjo, « les infirmiers formés peuvent déjà prendre la glycémie capillaire. Si elle est élevée, il faut faire la bandelette urinaire pour voir s’il y a de l’acétone et du glucose dans les urines. La présence de l’acétonurie constitue une urgence médicale. Ils peuvent, s’ils sont en périphérie suivre les prescriptions et la démarche de prise en charge adoptée par l’OMS et validé par le Programme National de Lutte contre les Maladies Non Transmissibles (PNLMNT) dans le WHOPEN TOGO ». Ensuite, explique le spécialiste, il faut faire de l’éducation thérapeutique aux patients diabétiques comme, par exemple, leur montrer comment prendre sa glycémie, comment bien respecter les prises de médicaments et aussi leur montrer comment s’injecter l’insuline. Ils doivent également leur donner des conseils sur le mode de vie : l’alimentation et l’activité physique. Les médecins généralistes, poursuit-il, peuvent prendre en charge un diabète non compliqué et en situation d’urgence diabétologique, faire appliquer les premiers soins d’urgence du patient diabétique avant de le transférer dans un centre spécialisé de prise en charge du diabète.
LA REALITE SUR LE TERRAIN
Dr Kodjo relève que les infirmiers ne sont pas formés réellement sur l’approche éducative du patient diabétique. « Par conséquent, les informations diététiques à donner et les informations sur l’activité physique ne sont pas maîtrisées, tout le monde dit ce qu’il veut. Même si dans les cours qui sont donnés ces éléments s’y trouvent, il faille les ramener à une formation de renforcement de capacités assez pratique pour la mise en action sur le terrain », a-t-il poursuivi.
Les infirmiers sont souvent les premiers à accueillir les patients le plus souvent, notamment dans les différents centres ou même dans les quartiers et familles. Il leur revient de diriger le patient en fonction de ce qu’il présente. « Si aujourd’hui ces infirmiers ne sont pas formés, ils n’auront pas le matériel, les outils et le bagage intellectuel nécessaire pour jouer leur rôle. Cela pose toujours les mêmes problèmes de compétence. Vous prenez un infirmier qui reçoit un patient qui a un pied diabétique (plaie) ce qui est très fréquent, il le soigne dans son coin jusqu’à ce que ce pied, à un certain moment,devienne très problématique. Et c’est lorsque le pied est irrécupérable qu’on envoie le patient pour qu’il soit amputer », déplore Dr Kodjo. Pour le spécialiste, si l’infirmier avait conseillé au patient d’aller voir un diabétologue pour qu’il puisse faire l’état des lieux de cette plaie, ce patient n’allait pas être amputé. « C’est des cas qui sont très fréquents. Vous voyez des infirmiers qui mettent des protocoles qui ne sont pas normalement de leur ressort parce que ce sont eux qui ont eu le patient en premiers, et ils veulent apporter les soins, mais ce n’est pas de cette façon qu’il faut procéder. Il faut que chacun fasse son travail. Cette formation nous permet de leur montrer ce qu’ils doivent faire par rapport à un patient diabétique », a-t-il précisé.
UNE FORMATION JUSTIFIEE
Pour le diabétologue du CHU, la formation des généralistes et infirmiers est une aubaine pour des solutions intermédiaires. « C’est un problème crucial que nous rencontrons dans notre pays où les diabétologues ne sont pas nombreux. Il faut former les gens, car le problème est là. Parmi les médecins formés, il y a certains qui partent. Pour faire la spécialisation, il faut des moyens et quand on n’a pas les moyens on ne pourra pas la faire, ce qui fait qu’aujourd’hui nous adoptons une nouvelle approche de la question du diabète qui est une pandémie. Cette approche c’est de pouvoir former les médecins généralistes et surtout les infirmiers à avoir une démarche de soins plus correcte. Le patient que l’infirmier reçoit, il doit savoir ce qu’il doit faire et rapidement adresser le patient à qui de droit. Pour certains infirmiers lorsqu’ils adressent un patient à un spécialiste ou à un médecin, c’est un aveu d’impuissance alors que c’est plutôt un travail bien fait. Nous faisons avec ce que nous avons et c’est pour ça que nous sommes obligés de former les médecins généralistes et les infirmiers pour qu’ils nous aident dans cette tâche qui est vraiment pénible », a conclu Dr Kodjo.