L’université de Kara, la deuxième plus grande institution publique du Togo, célèbre ses 20 ans d’existence, marquant son jubilé de porcelaine. À cette occasion, les plus hautes autorités nationales ainsi que des experts du monde académique et pédagogique ont partagé leur vision de l’avenir à travers divers panels et communications. Le président de l’université, le Professeur Kokou TCHARIE, a accordé une interview exclusive à Delta Infos Magazine.
Durant cet entretien, le Professeur TCHARIE a évoqué les défis et les réussites de ces deux décennies, ainsi que les perspectives de développement pour l’université. Les festivités ont été l’occasion de souligner l’importance de cette institution dans le paysage éducatif togolais et de réaffirmer son engagement à former les futurs leaders du pays.
Delta infos : Monsieur le président, le 7 septembre dernier, vous avez officiellement pris fonction. Vous avez désormais à charge l’orientation pédagogique et académique de la deuxième université du Togo.
Dites- nous d’abord, quel a été votre sentiment au moment où le président de la république son excellence Monsieur Faure E. GNASSINGBE vous a accordé sa confiance.
Pr Kokou TCHARIE : Permettez-moi de profiter de votre canal pour encore une fois, exprimer ma déférente gratitude au Président de la République, Son Excellence Monsieur Faure E. GNASSINGBE pour la confiance qu’il a bien voulu placer en ma modeste personne en me nommant à la tête d’un haut temple du savoir comme celui de l’université de Kara. Je tiens à lui adresser mes vifs remerciements pour cette marque de confiance renouvelée dont je mesure pleinement la portée au regard de l’immensité de la mission qu’il m’a confiée.
Revenant à votre question, je dirai que c’est un sentiment de joie, pour la confiance placée en moi mais aussi un sentiment de responsabilité pour la lourde mission qu’il vient de me confier pour présider aux destinées de ce haut lieu du savoir.
Delta infos : Monsieur le président, quel bilan faites-vous de l’évolution de l’université depuis sa création et quels sont les chantiers prioritaires auxquels vous faites face actuellement ?
Pr Kokou TCHARIE : Je tiens à préciser très brièvement qu’à ma prise de fonction en septembre de l’année académique 2022-2023, l’université de Kara comptait vingt mille six cent trente-cinq (20.635) étudiants en formation dans cinq facultés, deux instituts, une école doctorale et encadrés par deux cent vingt-quatre (224) enseignants et cinq cent douze (512) personnel administratif, technique et de service (PATS). L’université de Kara totalise à ce jour, vingt-six (26) filières de formation professionnelle pour une offre globale de formations de type fondamental et recherche, au nombre de cinquante-un (51) dans les grades licence, master et doctorat. Ces formations sont assurées sur deux sites (campus nord et campus sud).
Malgré la situation économique difficile que traverse notre pays, due entre autre à la conjoncture internationale et à la menace terroriste, la subvention de l’Etat reste la principale source de financement pour faire face aux charges de fonctionnement et d’investissement de notre université.
La crise multiforme que connaît l’université africaine n’épargne pas l’université de Kara. Cette crise a engendré au cours de ces dernières décennies, la dégradation des infrastructures pédagogiques et d’accueil des étudiants et le ralentissement de la recherche.
Malgré ce contexte difficile, le gouvernement sous l’impulsion du chef de l’Etat, poursuit inlassablement l’œuvre de construction de notre université.
Pour preuve, le chef de l’Etat, Son Excellence Monsieur Faure E. GNASSINGBE a présidé le 24 avril 2023, une cérémonie de pose de la première pierre pour la construction d’infrastructures modernes administratives et pédagogiques devant accueillir à terme trente mille (30.000) étudiants sur le site du campus nord. Cet investissement d’une valeur totale de vingt-six (26) milliards vise à hisser notre université aux normes internationales.
Je saisis donc l’occasion que vous m’offrez pour lui adresser les vifs remerciements de toute la communauté universitaire auxquels, je joins les miens propres.
Notre université vit une situation presque similaire aux autres universités de la sous-région avec des forces et des faiblesses qui peuvent se résumer comme suit :
- Au titre des forces, je mentionne particulièrement :
- La volonté politique des plus hautes autorités du pays de faire de l’université de Kara, un établissement d’enseignement supérieur moderne répondant aux standards internationaux,
- sa situation géographique qui en fait un pôle d’attraction et de rayonnement dans la partie septentrionale de notre pays,
- sa proximité avec certaines universités sœurs comme l’université de Parakou (Bénin) et l’université de Ouagadougou (Burkina-Faso) facilitant ainsi la mobilité des étudiants et des enseignants ainsi que l’organisation conjointe de certaines manifestations scientifiques,
- la jeunesse et le dynamisme du corps enseignant,
- la professionnalisation progressive de ses offres de formation, etc.
- Au titre des faiblesses
Malgré les efforts du gouvernement, des défis demeurent notamment : les infrastructures, les équipements, les ressources financières, humaines, matérielles, logistiques, etc.
Les amphithéâtres et agoras dédiés aux activités pédagogiques, les blocs administratifs, les résidences universitaires, les équipements des laboratoires et les espaces de restauration ne parviennent plus à contenir les flux ininterrompus d’étudiants qui arrivent chaque année par milliers à l’université de Kara.
Sur les cinq (5) résidences universitaires (cités universitaires), seules deux (2) sont fonctionnelles pour une capacité d’accueil de moins de cent (100) lits.
La seule artère qui relie l’ensemble des blocs administratifs et pédagogiques du campus sud est totalement dégradée rendant difficile la circulation.
Les bus affectés au transport des étudiants sont totalement amortis engendrant des coûts de réparation très considérables pour l’institution.
- Des effectifs d’étudiants en pleine croissance mais répartis de façon disproportionnée dans les filières de formation et caractérisés par des disparités liées au genre.
L’accroissement exponentiel des effectifs reste le trait marquant de l’enseignement supérieur togolais depuis la décennie 2001-2010. A l’université de Kara, cet effectif est passé de 12.983 étudiants dont 2.786 filles (21,5%) à la rentrée académique 2012-2013 à 20.635 dont 7.017 filles (34%) en 2022-2023.
Cette explosion est doublée d’une répartition fortement disproportionnée dans les établissements de formation : massivement dans les domaines des lettres, sciences humaines, sciences juridiques et économiques, ils sont très peu présents dans les filières des sciences et technologie.
- Des personnels enseignant et administratif insuffisants
Le personnel d’encadrement, surtout enseignant est insuffisant.
Aujourd’hui, les 20.635 étudiants sont formés par 223 enseignants soit un taux d’encadrement de 92 étudiants par enseignant. Nous travaillons à l’amélioration de ce taux.
- Des difficultés d’ordre pédagogique et financier
La volonté de professionnalisation des offres de formation face à un nombre insuffisant d’enseignants, a entrainé la création de plusieurs certificats, licences et masters professionnels faisant intervenir des enseignants missionnaires.
L’explosion des effectifs d’étudiants a pour corollaire une érosion drastique des ressources budgétaires de fonctionnement allouées à l’institution, celles-ci n’ayant pas connu d’augmentation proportionnelle aux besoins.
Mes priorités Monsieur les journalistes de delta infos magazine sont nombreuses et visent essentiellement à renforcer les capacités opérationnelles de l’université de Kara en vue d’en faire un pôle de services et de compétences attractif dans le septentrion.
Un chantier, non des moindres, aussi pressant concerne l’amélioration des capacités d’accueil de l’institution notamment la construction de nouveaux logements universitaires (cités), la réhabilitation des cités existantes et l’augmentation des places assises dans les salles de cours au campus sud. Spécifiquement, il est une priorité pour moi à court terme de construire une résidence universitaire d’une capacité d’accueil de cinq cents (500) étudiants et de réhabiliter les trois anciennes cités. L’acquisition de bus pour le transport des étudiants est une priorité visant à faciliter leur déplacement.
L’autre chantier qui me tient à cœur est la réhabilitation de l’artère principale qui lie les différents services du campus sud. Ceci permettra d’améliorer l’attractivité de l’institution.
L’amélioration de l’offre de formation et les prestations pédagogiques demeurent autant de priorités. Il s’agit de poursuivre le développement et la diversification des offres de formation à finalité professionnelle en les arrimant aux formations prioritaires définies par l’autorité de tutelle de même que la révision des contenus pédagogiques sans oublier l’évaluation du système LMD dans son ensemble. Cette évaluation permettra d’élaborer un manuel de procédure définissant les contenus des enseignements ainsi que les compétences nécessaires ; de proposer un système d’organisation systématique des examens spéciaux à l’endroit des étudiants à qui il reste trois (03) UE pour valider le grade et de proposer une meilleure méthode d’évaluation dans le système LMD en prenant en compte l’aspect numérique.
De même, si le programme de transition numérique de l’institution a été l’une des réponses à l’évolution exponentielle des effectifs des étudiants, des insuffisances récurrentes subsistent et il faut y remédier.
L’amélioration de la gouvernance universitaire à travers la révision de certains textes, la refonte ou la création de certains services et commissions demeurent indispensables.
Delta infos : Depuis quelques années, il a été constaté par vos services (DAAS) que l’effectif des étudiants dans les facultés et écoles est en baisse au début de chaque rentrée universitaire. Dites-nous a quoi est dû cette situation et que comptez- vous faire pour l’augmentation des effectifs de ce temple de savoir ?
Pr Kokou TCHARIE : L’effectif des étudiants de l’université de Kara est passé de 18.877 en 2017-2018 à 23.905 durant l’année académique 2018-2019. Cette explosion de l’effectif des étudiants durant ladite année s’explique par :
- La création de l’institut supérieur des métiers de l’agriculture (ISMA) en juin 2017 et qui a démarré effectivement les activités pédagogiques en 2018,
- L’ouverture des premières filières professionnelles à l’université de Kara,
- L’ouverture des master et doctorat marquant ainsi le déploiement complet du système LMD.
Je voudrais relever que, cette explosion a été très éphémère car l’année 2019-2020 a connu une baisse considérable de l’effectif des étudiants passant à 21.413 avant d’accroître légèrement durant les années 2020-2021 (21.685 étudiants) et 2021-2022 (21.981). La baisse de l’effectif la plus notable est enregistrée durant l’année 2022-2023 avec un total de 20.012 étudiants.
Cette baisse s’explique en partie comme je l’avais souligné plus haut par l’insuffisance des infrastructures pédagogiques (les salles de cours, les laboratoires pour les travaux pratiques etc 😉 rendant l’institution incapable de faire face au flux d’étudiants, l’introduction des cours en ligne à partir de la survenue de la pandémie COVID-19 dans un contexte marqué par l’instabilité de la connexion internet sur les deux campus.
A cela s’ajoutent la fermeture des cités devant servir de logements aux étudiants étrangers à Kara, l’insuffisance des bus de transport des étudiants pour faciliter leur déplacement d’un campus à un autre.
De même, les contenus des enseignements ainsi que les méthodes pédagogiques de certains enseignants ne sont pas de nature à attirer les étudiants.
Toujours relativement à cette question de diminution de l’effectif des étudiants, il ne faut pas perdre de vue que ces dernières années sont marquées par l’ouverture par le gouvernement, des écoles normales d’instituteurs pour former des enseignants du préscolaire et du primaire.
L’ouverture de ces écoles a entrainé une réorientation massive de plusieurs de nos étudiants vers ces écoles de formation professionnelle.
Aussi, l’Etat a procédé durant la même période, à plusieurs recrutements pour le compte de l’armée et de la police nationale.
Delta infos : Il sera aussi bienséant Monsieur le président Kokou TCHARIE de nous parler de vos stratégies et méthodes devant permettre de relever les défis en termes d’infrastructures (logements, bureaux des professeurs, salles d’études et de formation, matériels informatiques etc.)
Pr Kokou TCHARIE : Merci pour la question,
Pour relever tous les défis que vous évoquez, il me faut en complément des efforts déjà entrepris par le gouvernement sous l’impulsion du chef de l’Etat Son Excellence Monsieur Faure E. GNASSINGBE, mobiliser des ressources financières auprès des bailleurs de fonds, des partenaires techniques et financiers et surtout soumissionner aux appels à projets. C’est dans ce cadre que j’envisage d’élargir l’environnement partenarial de l’université de Kara à travers des partenariats stratégiques avec le secteur privé, les organismes internationaux et d’autres institutions de recherche.
Delta infos : Monsieur le président parlez-nous des rapports de travail (collaboration) qui existe entre votre institution et l’université de Lomé en termes de formation des enseignants et des étudiants.
Pr Kokou TCHARIE : D’entrée, je rappelle que l’université de Kara et l’université de Lomé ont signé le 8 janvier 2005 un accord de coopération qui a été révisé le 20 novembre 2009.
Dès notre prise de fonction, le professeur Adama M. KPODAR, président de l’université de Lomé et moi-même avions échangé sur la nécessité de réactiver cet accord afin de redynamiser nos relations de travail. C’est dans ce cadre que l’université de Kara a eu le privilège d’abriter les 8 et 9 novembre 2023, une réunion des membres du conseil de concertation relevant de nos deux institutions pour échanger sur plusieurs thématiques. A l’issue de cette rencontre, nos deux universités ont pris l’arrêté conjoint n°001/UK-UL/2023 du 19 décembre 2023 visant à mettre en place, sept commissions chargées de travailler entre autres sur l’harmonisation des curricula de formation, la mobilité des étudiants entre les deux universités, l’évaluation du système LMD, les stratégies de mise en place et de mutualisation des pôles communs de recherche, etc.
Je voudrais saluer en particulier, le décret N°2024-002/PR pris en conseil des ministres du 10 janvier 2024 portant mutualisation des compétences des enseignants du supérieur qu’ils soient contractuels ou fonctionnaires de toutes les universités publiques togolaises. Aux termes de ce décret, toutes les universités publiques ont accès à l’ensemble du personnel enseignant du supérieur en fonction du volume horaire statutaire résultant de leurs obligations de service. L’objectif étant de maximiser l’utilisation du personnel enseignant et du personnel d’encadrement dans les universités publiques. Ce décret vient entériner la bonne collaboration entre les universités publiques du Togo.
Pour finir sur cette question, j’entretiens d’excellentes relations de travail avec mon homologue de l’université de Lomé.
Delta infos : Quelle est votre vision pour l’université de Kara d’ici 2030.
Pr Kokou TCHARIE : J’ai deux visions essentielles :
- Au plan académique, ma vision est de faire de l’université de Kara, un pôle d’excellence et de référence dans la sous-région au service de sa communauté et qui forme aux métiers actuels et émergents.
- Au plan environnemental et pédagogique, j’ambitionne de créer sur le site universitaire du campus nord, un véritable champ-école écologique autonome, aux standards internationaux en termes d’agriculture biologique et durable. Ce sera un véritable champ d’expérimentation en : plantation d’arbres, d’élevage, d’aquaculture, etc. bref, mettre en œuvre un projet à l’image du centre Songhaï du Bénin.
Je voudrais profiter de l’opportunité que vous nous offrez pour lancer un appel fraternel à tout partenaire technique et financier qui voudrait bien nous accompagner dans la mise en œuvre de cet ambitieux projet à se joindre à nous dans cette belle aventure de verdissement de notre économie.
Delta infos : Avez-vous un message de sensibilisation ou de motivation à l’endroit de vos collègues et collaborateurs, voire étudiantes et étudiants dans l’atteinte des objectifs que vous vous êtes fixés en tant que président de l’université de Kara et autorité politique ?
Pr Kokou TCHARIE : L’Université de Kara (UK) est une institution de renommée nationale et internationale fortement attachée aux valeurs cardinales telles que la culture de l’excellence, la loyauté, la transparence, la responsabilité, le respect mutuel et la solidarité. J’invite donc avec conviction et optimisme l’ensemble de la communauté universitaire à s’approprier ces valeurs autour desquelles nous devrons établir solidement notre gouvernance ainsi que notre structuration académique.
Aussi, il me parait impératif de travailler inlassablement sur notre reconnaissance et notre visibilité. Il nous faut aussi consolider nos acquis et identifier les grands axes de recherche, de formation et de service à la société.
Un autre aspect cher à notre université, c’est le service à la communauté.
A travers ce concept, l’université de Kara a pris beaucoup d’initiatives notamment :
- Le programme « campus citoyen » œuvrant à l’inclusion financière et à l’insertion sociale des populations à la base, en les organisant en groupements de crédits communautaires en vue de leur offrir des services financiers flexibles et adaptés.
- A travers ce programme, l’Université de Kara participe à la mise en œuvre la feuille de route gouvernementale 2020-2025 qui vise en son Axe stratégique 1, de renforcer l’inclusion et l’harmonie sociales garantissant la paix,
- les séances de sensibilisation de toute la communauté universitaire ainsi que la population dans son ensemble sur les valeurs républicaines et la citoyenneté,
- l’organisation dans le cadre des festivités marquant l’apothéose des 20 ans de notre université, des campagnes foraines de consultation, de sensibilisation et de soins aux populations ainsi qu’aux animaux,
- l’organisation dans le même cadre des activités sportives et récréatives, d’un colloque international sur la rivière Kara, des journées de partenariats, etc.
Chacun en ce qui le concerne doit se sentir acteur du développement de notre joyau.
Delta infos: Votre mot de la fin
Pr Kokou TCHARIE : Je ne saurais terminer mon interview sans exprimer ma sincère gratitude aux plus hautes autorités de notre pays et à tous les partenaires pour leur constant accompagnement à l’université de Kara dans la quête de son développement.
Pour ma part, je m’engage à mettre en place un cadre institutionnel favorable à un enseignement supérieur de qualité. J’invite par la même occasion tous les acteurs à m’apporter leurs divers concours pour poursuivre l’œuvre de mes prédécesseurs et mener à bien la mission qui m’a été confiée. Je vous remercie.
Par Ramos L.