La décision est tombée le dimanche 28 janvier dernier. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont décidé de se retirer de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Un retrait qui intervient après plusieurs situations de tensions entre les trois pays et l’organisation régionale.
Au lendemain du retrait de ces trois pays dirigés par des militaires arrivés au pouvoir après des coups d’Etat, plusieurs analystes et observateurs, sont montés au créneau pour s’intéresser aux différentes conséquences que cette décision pourrait engranger dans la sous-région.
« Ce n’est pas un saut dans l’inconnu. C’est un cas prévisible », indique Dr Christian Spieker, homme politique togolais, notaire et président du mouvement « Germany is Back ».
ORIGINE DES TENSIONS ENTRE LES 3 PAYS ET LA CEDEAO
La détérioration des relations entre les trois pays et la CEDEAO est due aux différents coups d’État intervenus dans ces pays. En effet, à la survenue de coups de force, l’organisation régionale, soutenue par la France et les Etats-Unis, a exigé le rétablissement de l’ordre constitutionnel dans ces pays à chaque coup d’Etat. Une injonction à laquelle les militaires au pouvoir ont refusé d’obéir.
LES SANCTIONS PRISES…
En Août 2020, la CEDEAO a décidé contre le Mali de la fermeture de ses frontières aériennes et terrestres et imposé un embargo sur les échanges financiers et commerciaux, à l’exception des produits de première nécessité.
Le Burkina Faso, quant à lui, a été suspendu des instances de l’organisation.
En plus de l’interdiction de voyager aux militaires auteurs du coup d’Etat, des sanctions économiques ont coupé le Niger de bon nombre de ses partenaires commerciaux traditionnels, ce qui a aggravé l’insécurité alimentaire dans le pays.
LES RAISONS DU RETRAIT…
Le Niger, le Mali et le Burkina Faso estiment que la CEDEAO ne répond plus aux aspirations de leurs peuples. « Après 49 ans d’existence, les vaillants peuples du Burkina Faso, du Mali et du Niger constatent avec beaucoup de regret, d’amertume et une grande déception que leur organisation s’est éloignée des idéaux de ses pères fondateurs et du panafricanisme », souligne le communiqué.
Ils accusent l’organisation d’être « sous influence des puissances étrangères » et de représenter une « menace pour ses Etats membres et ses populations dont elle est censée assurer le bonheur ».
La CEDEAO, ont-ils ajouté dans le document, ne leur a apporté aucune assistance dans leur lutte contre le terrorisme. Au lieu de cela, elle leur a plutôt imposé des sanctions « illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables, en violation de ses propres textes » qui portent préjudice à leurs peuples. C’est donc pourquoi ils ont décidé de « prendre leur destin en main ».
LES CONSEQUENCES DU RETRAIT
Déjà sous sanctions de la CEDEAO, la situation économique des trois pays pourrait se compliquer avec le retrait selon les experts.
Sur le plan économique, « la fermeture des frontières après les coups d’Etat a gravement impacté les économies du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Cela a été pire pour le Mali qui a subi des sanctions monétaires, avec la fermeture des succursales de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), tout comme pour le Niger qui continue de souffrir de ces sanctions, pourtant non prévues par les textes de la CEDEAO. Mais, avec l’imbrication des économies, ce sont tous les pays de la sous-région qui sont impactés », fait connaître Nathaniel Olympio, président du Cercle d’études stratégiques sur l’Afrique de l’Ouest.
Il ajoute que ces sanctions « pénalisent la libre circulation des personnes et des biens, ce qui entrave l’intégration, et donc les fondamentaux mêmes de la CEDEAO. Cela va créer un frein à l’investissement. On voit bien que tout le monde est perdant ».
Même constat fait par Dr Christian Spieker. Pour lui, « le seul inconvénient pour ces trois États est la libre circulation des personnes et des biens dans les États de la CEDEAO ». Même si d’aucuns estiment que cela n’a jamais été respecté, vu les tracasseries au niveau des frontières au sein de la communauté, cette libre circulation reste toutefois un facteur déterminant dans les relations, notamment les échanges, entre les Etats et les peuples.
Il relativise toutefois en indiquant que « le Mali, le Niger et le Burkina Faso peuvent signer des accords bilatéraux avec certains des Etats de la CEDEAO avec lesquels ils ont des liens économiques et d’amitié très forts comme par exemple le Togo en raison de son port.
« Avec ces accords les Togolais avec leurs marchandises pourront circuler librement dans ces trois États et les citoyens de ces États pourront circuler librement aussi au Togo sans difficultés », indique-t-il comme exemple.
Une position que semble partager Nathaniel Olympio. « Et au-delà des investissements privés, les Etats eux-mêmes seront plus frileux à investir dans des projets communs », affirme-t-il.
Dr Spieker estime que les trois pays pourront gagner le pari de leur développement s’ils réussissent aussi à quitter l’UEMOA, en disposant de leur propre monnaie.
Pour lui, il faut qu’ils « arrivent à sortir aussi de cette zone très rapidement. Sinon, c’est une grande occasion pour leur développement économique ». « Pour atteindre ce but, il faut qu’ils sortent très rapidement aussi de l’UEMOA pour avoir leur monnaie commune. Les deux vont de pair. S’ils arrivent à sortir très rapidement de cette zone aussi et abandonner le franc CFA, ils vont provoquer du chaos dans ces pays aussi de l’UEMOA », dit-il.
Notons que récemment les Chefs d’Etats de la CEDEAO réuni en session extraordinaire au Nigéria ont décidé de lever les sanctions contre le Niger avec effet immédiat. Une décision qui n’a pas fait réagir Niamey, puisque les frontières avec le Bénin restent toujours fermées.
L’AVENIR DE L’AES
![](https://deltainfos.tg/wp-content/uploads/2024/05/CARTE_CEDEAO.png)
Après le retrait de la CEDEAO, les trois pays sont allés plus loin en créant l’Alliance des Etats du Sahel (AES).
Pour le moment, soutiennent les experts, l’Alliance des Etats du Sahel n’a pas encore ce poids pour prétendre se substituer à la CEDEAO. « Il est trop tôt pour le dire », tranche Nathaniel Olympio. Mais avec la perte de l’influence de cette dernière et la propension des Etats d’Afrique qui veulent s’affranchir, il craint que cette alliance ne devienne plus forte que l’organisation communautaire.
« Mais, la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) découle des sanctions, d’une préoccupation sécuritaire propre aux 3 pays et de la menace d’intervention militaire de la CEDEAO au Niger. Ensuite, ils ont décidé d’aller plus loin en devenant officiellement une confédération. L’objectif de l’AES va donc bien au-delà de l’intégration économique que poursuit la CEDEAO. Les dirigeants des trois Etats mettent habilement en avant la défense de la souveraineté de leur pays et la fin de l’intervention avérée des puissances extérieures dans leurs affaires intérieures », poursuit-il.
Et bien évidemment, leur projet pourrait séduire d’autres Etats qui n’hésiteront pas à faire le pas vers eux. « Bien entendu, si la CEDEAO restait figée, il n’est pas exclu que d’autres pays de l’organisation soient séduits par le projet de l’AES. D’ailleurs, la grande proximité du Togo avec ces trois pays, et l’appel du pied fait par l’AES au Tchad, interrogent », avertit-il.
« Pour les trois États du Sahel, c´est une grande chance pour repartir du bon pied vers la souveraineté entière sans influence encore de l´extérieur. Ils vont s´affranchir de toute influence extérieure », souligne Dr Spieker.
Et au vu de la situation actuelle, le président du Cercle d’études stratégiques sur l’Afrique de l’Ouest souligne qu’il serait difficile pour les trois Etats d’envisager un retour dans l’organisation communautaire. « Cela me semble difficile à moyen terme. Avant tout, il faudrait que la CEDEAO fasse de profondes mutations. Qu’elle devienne véritablement une CEDEAO des peuples et non un syndicat de chefs d’Etat qui se serrent le coude en ignorant royalement les attentes des citoyens », conclu Nathaniel Olympio.
Par Gautier A.